La souveraineté alimentaire - Partie 2 : les piliers

Pour ce deuxième article sur la souveraineté alimentaire, j’avais envie d’approfondir la définition fournie par La Via Campesina, le mouvement international de paysan-nes ayant popularisé ce concept et dont je vous ai parlé dans le premier article de cette série.

Aujourd’hui, 25 ans après la naissance du concept de souveraineté alimentaire, les définitions abondent et ne font pas consensus. Toutefois, on y retrouve souvent des éléments communs. Ceux-ci découlent en partie des piliers de la souveraineté alimentaire, c’est-à-dire des ingrédients identifiés en 2007 par La Via Campesina et qui sont encore à la base de leurs actions aujourd’hui.

En plus de définir la souveraineté alimentaire comme le droit des peuples de décider et de contrôler leur système alimentaire, La Via Campesina a identifié 6 piliers (et plus tard un septième a été ajouté au Canada). Je trouve important de rappeler quels sont ces piliers et de voir comment ils s’adaptent au fil du temps, des réalités géographiques et des différents discours.

Les piliers de la souveraineté alimentaire

1. Donner priorité à l’alimentation des peuples

Les aliments devraient être cultivés pour nourrir les gens (plutôt qu’être une marchandise ou une composante d’une industrie)

2. Valoriser les producteurs-rices d’aliments

Le système alimentaire devrait soutenir et valoriser toutes celles et ceux qui sèment, cultivent, récoltent et transforment les aliments (la souveraineté alimentaire s’oppose aux politiques qui menacent les moyens d’existence des producteurs-rices)

3. Localiser les systèmes de production alimentaire

Les producteurs-rices et les consommateurs-rices devraient être proches l’un de l’autre et au cœur des décisions (la souveraineté alimentaire s’oppose au contrôle des compagnies multinationales et aux impacts négatifs des politiques internationales sur les systèmes alimentaires locaux)

4. Établir le contrôle au niveau local

Les producteurs-rices locales devraient contrôler les terres cultivables, les ressources comme l’eau et les semences et les partager de « manière socialement responsable et écologiquement durable en préservant la diversité » (Forum de Nyéléni, 2007).

5. Consolider les savoirs et les compétences

Reconnaître et utiliser les savoirs traditionnels tout en utilisant la recherche pour soutenir et transmettre ces savoirs aux générations futures. Identifier et éviter les technologies qui nuisent ou menacent les systèmes alimentaires locaux.

6. Travailler avec la nature

Reconnaître les écosystèmes, optimiser leurs contributions en utilisant des méthodes agroécologiques (c’est-à-dire qui respectent l’environnement) et favoriser leur capacité d’adaptation, surtout face aux changements climatiques (la souveraineté alimentaire s’oppose aux méthodes dommageables pour les écosystèmes comme les monocultures et les modes de production industrialisés)

7. Reconnaitre le caractère sacré des aliments*

Considérer que les aliments ne sont pas une marchandise, qu’ils ont une valeur non quantifiable, culturelle et sacrée, comme la culture. Les aliments ne devraient donc pas être traités comme les autres biens dans les accords de libre-échange entre pays.
*(ajouté en 2007 au Canada par le Cercle autochtone au Réseau pour une alimentation durable)

Les piliers de la souveraineté alimentaire selon La Via Campesina © Tous droits réservés Laucolo

Les piliers de la souveraineté alimentaire selon La Via Campesina © Tous droits réservés Laucolo

Une approche systémique

La souveraineté alimentaire et ses piliers ont été identifiés par des paysan-nes en provenance de partout dans le monde comme moyens d'améliorer leur vie et leur système alimentaire. Malgré les réalités variant d’un pays à l’autre, ces priorités arrivent à rassembler les membres du réseau autour de l'importance du pouvoir local, des gens qui composent le système alimentaire et des liens qui les unis à l’écosystème agricole, qu’on soit en Équateur, en Inde ou au Canada.

De plus, ces priorités rappellent qu’on doit adopter une approche systémique (c’est-à-dire qui considère l’ensemble des éléments et les liens qui les unis) si on veut s’engager dans un processus de souveraineté alimentaire. Même si la mise en pratique de ces piliers variera d’un endroit à l’autre, le fait de tous les prendre en compte, évitera de réduire la démarche à une simple politique de sécurité alimentaire ou d’auto-suffisance alimentaire.

Enfin, si l’on considère les systèmes alimentaires québécois et canadien, un réel changement de paradigme (c’est-à-dire de la façon de penser, de concevoir le monde et donc d’agir) serait requis pour avancer dans la direction de la souveraineté alimentaire tel que proposée par La Via Campesina.

Dans un prochain article, je vous parlerai de la souveraineté alimentaire autochtone (indigenous food sovereignty) et de certains exemples de son utilisation récente, bien que comme le souligne Dawn Morrisson, « le language de la souveraineté alimentaire est récent dans les communautés autochtones, mais son existence ne l’est pas ».

N’hésitez pas à m’écrire si vous avez des questions ou des commentaires. À bientôt !

- Laurence

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Références